C’est une histoire mouvementée que cachent les eaux du lac Kerkini en Grèce. Aujourd’hui l’un des plus beaux sites ornithologiques d’Europe, offrant aux yeux des visiteurs qui s’y égarent une diversité colorée sans pareil, ce parc national protégé a connu de nombreux bouleversements.
Autrefois l’une des plus vastes zones humides méditerranéennes, les multiples modifications apportées par les humains au cours du 20è siècle ont transformé la plaine du Strymon de manière irréversible… et avec lui la population à plumes de la région. Mais toujours, Kerkini a été un lieu de passage, un refuge pour les oiseaux venus de toute la Méditerranée, et le théâtre d’interactions uniques entre les différentes espèces.
D’abord terre d’accueil pour les limicoles venus nicher dans les généreuses vasières et roselières des lieux, Kerkini a vu naître au siècle dernier des alliances insolites entre visiteurs à plumes dans le but de protéger leurs colonies. Tels les grèbes qui, en véritables sous-marins de poche, guettent sur les eaux, tandis que les guifettes moustac, avions de chasse miniatures, surveillent avec constance les cieux.
Les lieux sont ensuite devenus du fait de l’intervention humain un immense lac poissonneux, forçant les limicoles au départ. Ce sont alors les piscivores qui ont emménagé sur les rives nord du lac, sous l’abri des arbres : hérons, cormorans, blongios, crabiers, aigrettes, ibis, spatules…
Une diversité foisonnante qui a donné naissance à un spectacle hors du commun : celui des chasses collectives. Au point du jour, les grands cormorans ouvrent le bal, formant puis déformant leurs bandes, et attirant dans leur sillage d’autres espèces. Dans une chorégraphie réglée au millimètre, cormorans et pélicans repoussent en les chassant les poissons vers la berge, où attendent hérons et spatules eux aussi affamés. Des moments uniques, qui se répètent à l’envi, rassemblant souvent plus d’un millier d’oiseaux, d’une dizaine d’espèces différentes.
Le lac de Kerkini est devenu si accueillant qu’à la fin du siècle dernier, on y recensait 20 000 oiseaux venus y nicher. Une population qui a conduit l’Etat grec à vouloir protéger le site, tant et si bien qu’en 2005, le lac est devenu parc national, financé par l’Union Européenne pour que prospère cet espace. Aujourd’hui, ce sont des centaines de milliers d’oiseaux qui s’arrêtent ici pour une simple halte ou pour hiverner. Flamants roses, cygnes, bécasseaux, chevaliers, avocettes, oies naines, aigles criards, balbuzards, faucons émerillons, pélicans se régalant des repas que leur offrent les pêcheurs… de quoi faire rêver les ornithologues de toute plume.
Mais la forêt environnante désormais menacée laisse craindre une nouvelle métamorphose. Une de plus, pour ce lac à la vie toujours changeante et ses habitants à plumes.